MOUVEMENT
REPUBLICAIN ET CITOYEN
Lettre
électronique de GEORGES SARRE
Europe : le triangle des Bermudes des libertés publiques
22 juin 2004
Les " données personnelles " des
passagers des transports aériens transatlantiques seront désormais transmises aux autorités américaines.
Tel est l'accord conclu entre l'Union Européenne et les Etats-Unis d'Amérique. Une série de données
- trente-quatre au total - seront fournies en vue de favoriser la " lutte contre le terrorisme ". Archivées
trois ans et demi, elles permettront à Washington de connaître à peu près tout des voyageurs se rendant
en Amérique du Nord, Canada inclus. Alors que cet accord était jugé " inadmissible " voici quelques
mois seulement par le Commissaire européen Bolkestein, il a fini par être conclu par les services de
ce même Commissaire. Quant au Parlement européen, opposé à cet accord, son opinion a été ignorée, mettant
ainsi en évidence son rôle d'alibi démocratique à peu de frais. Le Président sortant de l'assemblée
de Strasbourg, se demande en effet si l'accord doit être attaqué devant les juges de Luxembourg par
son Parlement. Il faut dire que les bonnes relations entre le Parlement et la Commission ne doivent
surtout pas avoir à souffrir des devoirs des eurodéputés envers les citoyens...
Les citoyens sont dès lors en droit de s'interroger sur le rôle de l'Europe. Présentée comme un contrepoids
aux Etats-Unis, comme une condition et un acteur de l'émergence d'un monde multipolaire, l'Europe vient
pourtant d'abdiquer au nom de 25 Etats, un devoir élémentaire de protection des libertés de 450 millions
de personnes. Un fichage des voyageurs à échelle occidentale est en cours avec la bénédiction des services
de la Commission de Bruxelles, pourtant censée représenter un intérêt général européen.
Il apparaît de plus en plus clairement que les gouvernants européens pensent qu'il y a identité entre
la sécurité collective de l'Europe et la sécurité du " monde libre " -du monde occidental- que l'Administration
Bush promeut de fait par sa guerre contre le " terrorisme ". Mais si l'Europe n'est pas capable de garantir
la protection d'informations concernant les citoyens de ses Etats-membres et si elle accepte sciemment
de se fondre dans un bloc occidental informe de plus en plus inféodé à l'empire américain, à quoi sert-elle
? D'ailleurs l'Europe s'avère en fait incapable de penser le monde, d'anticiper les grandes évolutions
géopolitiques du monde. Le vide politique institutionnalisé par l'Union européenne en est la cause.
Aucune ébauche d'une vision politique de l'Europe ne semble en effet se dégager. Les élections européennes
viennent une fois de plus de le prouver. Chacun a son Europe, les socialistes ont l'Europe sociale,
la droite l'Europe de l'innovation et des entreprises, le centre l'Europe comme besoin. Chaque parti
ne fait que refléter la référence à un mythe qui fuit plus vite que l'horizon. Un leitmotiv - le " besoin
d'Europe " - sert de projet politique.
Si les responsables européens estiment que le cadre de notre sécurité collective est naturellement à
échelle de l'occident, alors ils doivent admettrent que le projet européen est périmé. Vingt-cinq Etats
développent des institutions communes dont la principales caractéristiques est de fournir à l'hyper-puissance
américaine des données relevant des libertés publiques les plus évidentes.
Beaucoup ne conçoivent l'Europe que dans la main de Washington. Historiquement, les européistes ont
eu du mal à penser la puissance - et donc la construction d'une puissance - au service des pays de l'Europe,
et n'ont pu - par anticommunisme d'abord, par adhésion partielle aux thèses néo-conservatrices plus
récemment - imaginer une alternative à la (non-)politique de la Maison Blanche ou du Département d'Etat.
Le Général de Gaulle s'était heurté à eux en promouvant une Europe européenne, qu'il était en fait le
seul à imaginer. Le refus du Plan Fouchet - qui date de quarante ans - a été fatal au projet d'Europe-puissance
et signifié clairement l'absence de volonté collective de l'Europe.
Les citoyens des pays d'Europe sont en droit d'attendre de l'Europe un degré de sécurité ou de liberté
au moins égal à ceux naguère assurés par leur Etat-Nation. En l'occurrence, il n'en est rien. Le vide
politique de l'Europe communautaire qui laisse Washington fixer le cap ôte les garanties fondamentales
qui pourraient légitimer l'existence de cette machinerie supranationale. Ainsi, incapable d'avoir un
rapport spécifique au monde, incapable de protéger les citoyens de ses Etats-membres, l'Europe perd
tout sens.
Georges Sarre est maire du XIe arrondissement
de Paris et porte-parole du MRC.
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