La
lettre électronique de Georges SARRE
"Réhabiliter le travail ? Chiche !"
30 septembre 2003
Dans
le Figaro du lundi 15 septembre 2003, le Ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie, Monsieur Francis MER, a publié une tribune intitulée " réhabilitons
le travail ! ". Voilà un très beau projet, qui figurait d'ailleurs en tête des
orientations présentées à Vincennes par Jean-Pierre CHEVENEMENT lorsqu'il a
lancé sa campagne présidentielle il y a tout juste deux ans. Et le M.R.C., dont
la culture n'a jamais été malthusienne, est favorable à la mobilisation de toutes
les forces de travail de ce pays, pour assurer la prospérité de la France.
Alors chiche, Monsieur Mer : réhabilitons le travail
!
Seulement voilà, la France subit de plein fouets la disparition ou la délocalisation
de son industrie et de ses services : Comilog, Daum, Singer, Yoplait, Schneider,
ST Microelectronics, Thomson, Alcatel, … Le chômage dépassera vraisemblablement
la barre des 10% avant la fin de l'année. Personne n'est épargné : même les
étudiants sortant des grandes écoles ne trouvent pas nécessairement un emploi
dans des délais rapides…
Réhabiliter le travail, c'est donc d'abord lutter contre
le chômage. Comment ?
L'Etat doit recouvrer son pouvoir. Pendant des années, il s'est mis aux abonnés
absents, abandonnant politique monétaire, politique budgétaire et politique
commerciale à l'Union Européenne, qui a ouvert ses frontières commerciales et
n'a mis en œuvre aucune politique industrielle digne de ce nom.
Il faut au contraire intervenir pour empêcher la récession. Il est nécessaire
de limiter par la loi les licenciements pour convenance boursière. Le M.D.C.
avait fait une proposition de loi en ce sens en 2001 à l'Assemblée Nationale.
Surtout, alors que le Ministre de l'économie balaye d'un revers de la main toute
possibilité d'action structurante sur la mondialisation libérale, c'est pourtant
bien aux racines du mal qu'il faut s'attaquer.
Dès l'introduction de son propos, Monsieur Mer décline son credo libre-échangiste.
Mais c'est justement le libre échange de plus en plus sauvage qui pousse au
nivellement par le bas des normes sociales et environnementales à travers le
monde, et, au passage, qui vide les pays développés de leurs industries et de
nombreux services, créant derrière lui un cortège de précaires, de chômeurs,
d'exclus ! Il faut donc inverser la logique libre-échangiste, pour sauvegarder
les emplois français. L'élévation des barrières douanières en Europe, voire
en rance, ne doit pas être taboue. En tous cas, on ne peut plus accepter d'accords
commerciaux qui ne tiennent aucun compte des conditions sociales et environnementales
de production. L'O.M.C. est un instrument de la puissance américaine ; l'échec
de Cancùn n'est qu'un répit, et la finance internationale reviendront vite à
la charge. Il est donc urgent de rebattre les cartes du commerce international.
Il faut aussi que l'Etat prenne ses responsabilités, y compris financières,
lorsque l'emploi est menacé. Et nous ne pouvons que féliciter Francis Mer de
faire pour Alstom ce qui devrait toujours être fait pour préserver des entreprises
qui arment la France en industrie et en emplois. Mais encore faudrait-il aussi
ne pas se lier les mains en remettant à la Commission de Bruxelles tout pouvoir
ultime de décision en matière industrielle et concurrentielle. Là aussi, un
big bang politique est nécessaire : il faut rendre le pouvoir aux citoyens,
le pouvoir de sauvegarder leurs industries et leurs emplois ! Bien sûr, si la
France doit se protéger dans la mondialisation, elle doit aussi, comme l'affirme
à juste raison Monsieur Mer, s'appliquer à être compétitive. Mais est-ce bien
la voie suivie par un gouvernement libéral qui réduit les crédits de la recherche
? Est-ce bien ce à quoi va nous mener la sempiternelle politique soixante-huitarde
de renoncement à l'excellence - et même à l'exigence…- dans l'Education Nationale
?
Le Ministre voit aussi dans la réforme des retraites de Jean-Pierre RAFFARIN
une mesure qui " réhabilite le travail ". Non, en amputant les revenus de ceux
qui ont travaillé toute leur vie, cette réforme dévalorise au contraire le travail
des plus modestes, et fait la part belle aux revenus du capital.
Surtout, il est fort de café de lire que le Ministre de l'économie dénonce les
préretraites ; bien sûr, elles constituent un formidable gâchis de compétences,
mais c'est en amont qu'il faut poser le problème : on ne peut pas faire semblant
de ne pas voir que les préretraites sont un traitement social des licenciements,
dont le patronat est d'ailleurs assez friand. Voilà qui nous renvoie donc au
problème des fermetures de sites et des délocalisations d'entreprises et autres
démantèlements industriels…
Que propose ce gouvernement aux salariés âgés mis sur la touche ?
La tribune de Francis Mer se conclut sur une belle démonstration de poker menteur
: ce serait, selon lui, par la baisse de la fiscalité qu'on libèrerait le travail
en France, et qu'on le réhabiliterait. D'abord, cette logique anti-fiscale fait
l'impasse sur le nécessaire financement des services et des investissements
publics, nécessaires à l'économie et donc au travail, et en eux-mêmes générateurs
de travail utile. Mais surtout, prétendre que ce gouvernement baisse les impôts
est plus que culotté, à l'heure où il ne fait quasiment plus de doutes qu'il
compensera la baisse de l'I.R.P.P. par une hausse de la taxe sur les carburants.
Ceux qui vont travailler tous les jours et qui ne payent pas l'I.R.P.P. seront
contents de savoir que le gouvernement réhabilite leur travail en leur imposant
un prix de déplacements plus élevé !
En somme, le Ministre de l'économie et des finances lance un slogan que sa politique
quotidienne dément. La seule chose que ce gouvernement ait faite depuis son
entrée en fonction pour " réhabiliter le travail " est l'augmentation du SMIC
décidée par François Fillon en 2002. C'est tant mieux, mais c'est bien peu.
Ce n'est qu'en remettant en cause le contexte structurel
de l'économie mondiale et européenne, le libre-échange et l'impuissance publique
érigées en dogmes, que l'on pourra enfin mener une politique économique en faveur
de l'emploi et des salariés précaires et à faibles revenus.
Georges Sarre est porte parole du
Mouvement Républicain et Citoyen