La
lettre électronique de Georges SARRE
"L'Europe, opium de la classe politique, instrument
des libéraux."
09 septembre 2003
Les
querelles opposant le gouvernement français à la Commission de Bruxelles et
à ses " partenaires " européens sont révélatrices de l'échec de plusieurs décennies
d'intégration communautaire et du développement d'un libéralisme sans frein.
Certes, la France n'est pas la seule à avoir un déficit budgétaire supérieur
au fameux critère des 3%, mais la nécessité pour son gouvernement de s'émanciper
(provisoirement) d'un certain nombre de contraintes européennes (pourtant librement
acceptées) l'a placé face à la vindicte de ses partenaires et du " gendarme
" qu'est la Commission. La prise en compte des réalités flagrantes par le gouvernement
n'efface pas les années d'aveuglement de la classe dirigeante française. N'y
a-t-il pas en effet un paradoxe à dire timidement " non " après avoir accepté
l'inacceptable : libre échange et libéralisme forcenés, transferts de souveraineté
à une technocratie irresponsable et affaiblissement de l'Etat ?
Pascal Lamy, Commissaire européen ultra-libéral d'origine socialiste, est venu
réprimander la France et les Français. Son message est clair : la voix d'un
Commissaire européen pèse autant que la totalité du corps électoral français.
Technocratie-Démocratie, 1-0. Mais qui peut s'étonner de l'aplomb de Monsieur
Lamy, quand on sait que délibérément les gouvernements français (et européens)
lui ont fait confiance à lui et à ses homologues pour " libéraliser " les marchés
européens et les ouvrir à tous les vents, soumettant le travailleur européen,
traditionnellement " protégé " à la concurrence de pays à très bas salaires
et aux normes sociales inexistantes ?
Monsieur Lamy n'a-t-il pas déclaré que le destin de la France était de " fabriquer
des airbus pas des T-shirts "… Le rôle assigné à la France par les experts internationaux
et européens est de devenir productrice de biens à haute valeur technologique.
Noble ambition qui fait l'impasse sur une réalité flagrante : le besoin de main
d'œuvre des diverses activités. La Commission pousse à la spécialisation des
pays en fonction " d'avantages comparatifs ", vieille théorie économique qui
a mené à la désindustrialisation de la France. C'est la raison pour laquelle
le marché textile (notamment) européen est le plus ouvert au monde (plus ouvert
que celui des Etats-Unis, d'Australie, sans parler des marchés asiatiques, presque
totalement fermés). Deux mouvements s'opèrent simultanément : l'entrée de produits
à bas prix en Europe et le départ des unités de production des mêmes produits
en direction des pays à bas salaire. L'élargissement procède du même aveuglement
: les pays de l'Est sont en capacité d'absorber un nombre immense d'unités de
productions ouest-européennes. Quel patron aurait intérêt à ne pas délocaliser
en ayant à quelques heures de camion des conditions aussi favorables ?
Cette puissance de la Commission, librement acceptée par les gouvernements,
consacrée par la Convention Giscard, a été encore renforcée par l'élargissement
qui lui donne des pouvoirs de sanctions encore plus étendus. Monsieur Raffarin
ne s'est-il pas félicité du contenu de la " Constitution Giscard " ?
Celui qui se félicitait également hier de n'avoir que les drapeaux du Poitou
Charente et de l'Union Européenne sur son Hôtel de Région, proclame aujourd'hui
son dédain pour certains " bureaux " dans " on ne sait quel pays "…
Qui fut pourtant le premier à ouvrir un bureau de représentation de sa région
à Bruxelles ? Qui a encouragé à l'achèvement du marché unique et à l'application
d'une déréglementation totale ? Qui reste au fond de lui un européiste fanatique,
ayant trouvé une raison d'être dans cette Europe du libre-échange forcené et
de la déréglementation totale ? Qui a été l'apôtre de " l'adaptation " de la
France à des règles extérieures ?
Cette fuite devant les responsabilités de nos gouvernants, il faut la condamner.
Il faut condamner cette obsession du libre échange qui rend les pauvres des
pays riches plus pauvres en appauvrissant également les pauvres des pays pauvres.
Il faut enfin revenir sur ces règles ineptes du " droit de la concurrence ",
machine de guerre contre l'emploi et le progrès social.
Cette Europe, zone de libre échange et de déresponsabilisation des dirigeants
politiques, qui n'a pour seul dogme économique que la concurrence a bientôt
rendez-vous avec les citoyens. Nos gouvernants ont fait preuve du plus coupable
aveuglement en promouvant sans cesse " l'Europe ", quand les citoyens leurs
parlaient emploi, progrès social et citoyenneté. Aveuglement coupable donc,
mais aussi mensonge éhonté puisque l'éternelle fuite en avant, l'éternelle "
avancée " a été présentée comme une chance alors qu'il ne s'agissait que d'accentuer
un libéralisme dévastateur et le pouvoir de technocrates irresponsables. L'Europe,
c'est l'opium de la classe politico-médiatique, celui qui la perd dans les nuées
fantasmatiques pour lui permettre d'échapper à une réalité qui lui fait horreur
: le peuple.