La
lettre électronique de Georges SARRE
" Les voix d'en bas "
15 janvier 2003
L'année
2003 s'ouvre sur un paradoxe, qui montre les limites de cette écoute de la France
d'en bas, dont Jean-Pierre Raffarin prétend qu'elle serait l'axe de sa politique.
Le 9 Janvier, le gouvernement laisse très officiellement le personnel d'EDF
se prononcer sur l'avenir de son régime de retraites. Chacun sait que la réforme
proposée est un préalable indispensable à l'ouverture du capital de l'entreprise,
formulation hypocrite pour ne pas dire sa privatisation. A une majorité conséquente
(53,4 %), et encore plus ample (58,7%), si on ne prend en considération que
les agents en activité, les salariés et retraités repoussent le texte qui leur
est soumis.
Francis Mer, ministre de tutelle de l'entreprise encore publique, s'empresse
de déclarer qu'il ne tiendrait pas compte de ce scrutin. La réforme des retraites,
telle que l'ont acceptée les organisations syndicales minoritaires, sera mise
en vigueur. Le statut d'EDF et de GDF sera changé. Leur capital sera ouvert.
Mais, alors, pourquoi donc Francis Mer a-t-il accepté que cette consultation
du personnel soit organisée.
En réalité, Francis Mer, comme la direction d'EDF, pensait que le résultat serait
favorable. Alors, il aurait pu le brandir et s'en servir pour justifier sa politique
de démantèlement du service public et des statuts des personnels qui y travaillent.
Mais, puisque le choix des salariés n'est pas conforme à sa volonté, il le rejette
en méprisant ceux qui ont été consultés avec son accord.
Une telle attitude est devenue une habitude. Jamais, ceux d'en haut ont tant
vanté la démocratie et ses vertus. Jamais, ceux d'en haut se sont autant proclamés
" démocrates ", ont tant cherché à se faire passer pour respectueux de la démocratie.
Jamais, pourtant, les mêmes n'ont autant ignoré, n'ont autant bafoué l'expression
de la volonté du peuple, quand cette expression ne leur convenait pas. Ce déni
de démocratie n'est pas spécifique à la France. Il est même devenu un moyen
ordinaire pour imposer la construction européiste. Les Danois sur le traité
de Maastricht, les Irlandais sur celui de Nice en ont fait l'expérience. Une
première fois, ils avaient rejeté le texte ; ils furent derechef convoqués à
un nouveau scrutin, où ils furent sommés de répondre positivement sous peine
d'apocalypse.
Plutôt que de continuer à s'enfoncer dans son aventure idéologique, dont en
fait personne ne veut, ou plus précisément personne de la France d'en bas ne
veut, le gouvernement devrait entendre la voix de la sagesse et de la raison.
Les motifs objectifs et techniques, qui ont conduit en 1946 à la création d'EDF,
n'ont pas changé. L'électricité ne se stocke toujours pas. Il faut donc toujours
des moyens de production et de transport qui répondent instantanément à la demande.
Il faut donc un réseau qui ne peut être qu'un monopole et des investissements
qui soient surdimensionnés, si nous ne voulons pas arriver à une situation de
panne, comme ce fût le cas en Californie, il y a quelques mois.
Le précédent de France Télécom montre que la transformation d'un établissement
public en société anonyme est une affaire bien plus compliquée que ne le croient
les idéologues libéraux. Il y a dans le service public une logique et une cohérence
qu'ils sont incapables de percevoir, aveuglés qu'ils sont par leurs dogmes.
La privatisation finit par coûter beaucoup plus d'argent qu'elle ne rapporte.
En outre, les avantages de la nationalisation sont perdus.
Le gouvernement ferait mieux d'écouter et d'entendre les salariés. Ils sont,
eux, vraiment la France d'en bas.