La
lettre électronique de Georges SARRE
" Toujours plus "
27 février 2003
Ils
en veulent toujours plus, ces libéraux ! Ils en veulent toujours plus persuadés
qu'ils sont que la main invisible du marché fera le bonheur des peuples malgré
eux. Ils en veulent toujours plus convaincus qu'ils sont que les profits obtenus
par quelques uns rejailliront pour la félicité de tous.
Les libéraux ont obtenu dans l'Union Européenne l'introduction de la concurrence
dans le domaine de l'électricité. L'expérience, y compris au Etats-Unis, y compris
en Californie, n'a servi à rien. Le dogme l'a emporté sur la réalité. Que tous
les courtiers américains en énergie soient en difficulté, semble à leurs yeux
anecdotiques. Que le scandale encore ne se limite pas aux malversations des
dirigeants de l'entreprise, mais mette en cause l'essence même de l'existence
d'une telle entreprise, ne les intéresse pas. Que l'état de Californie soit
contraint à reprendre en main le secteur et à y investir des sommes considérables
pour que cesse la pénurie, ne les amène pas à réfléchir.
Depuis près de soixante ans, le monde a changé, et même beaucoup changé. Mais,
l'électricité n'a pas changé. L'électricité est toujours un bien qui ne se stocke
pas. L'électricité est toujours un bien dont l'offre doit s'adapter à la demande
à la vitesse de la lumière. L'électricité est toujours un bien pour lequel les
moyens de production, de transport et de distribution doivent être surdimensionnés
pour l'instant de plus forte consommation éventuellement envisageable. Donc,
pour éviter toute coupure, il faut prévoir des équipements qui, à la limite,
ne serviront jamais.
A l'inverse, dans un marché libre de l'électricité, il faut susciter des moments
de plus grande raréfaction pour vendre aux prix le plus élevé un bien devenu
rare. La pénurie et la menace de pénurie deviennent alors des armes commerciales
stratégiques. Les enquêtes menées en Californie montrent que les compagnies
n'ont pas hésité à laisser des centrales à l'arrêt, alors que se multipliaient
les coupures, pour augmenter la rareté et donc le prix de vente du Kw/h. Le
profit ne vient pas de la masse écoulée, mais de la différence entre le coût
de production et le prix de vente. Les disettes ont toujours profité aux spéculateurs.
Bref, les conditions qui ont conduit à la création et à la nationalisation d'EDF
en 1946, n'ont pas changé. L'expérience a montré que la dérégulation conduisait
à des situations graves, sinon catastrophiques, à moins d'une réintroduction
de la puissance publique, sous une forme alors plus ou moins bureaucratique.
En revanche, les systèmes qui prenaient en compte les réalités de l'électricité,
ont toujours répondu aux attentes, même lorsque les consommations augmentaient
de 7 % par an, soit un doublement tous les dix ans.
Les libéraux sont donc arrivés à désorganiser l'électricité en Europe et bientôt
en France. Le traité de Rome prévoit dans ce domaine une politique commune,
une harmonisation. En aucun cas, ce texte de 1957 nous contraignait à démanteler
un système qui donnait satisfaction, tout en étant en contradiction avec l'idéologie
libérale.
Désormais, aux libéraux, il faut encore plus, toujours plus. Il faut privatiser
EDF. Aucun traité, aucune directive, aucun règlement européen ne nous le demande.
Madame Loyola de Palacio reconnaît, elle-même, que le statut public ou privé
d'une entreprise ne regarde pas la commission de Bruxelles, pourvu qu'il n'y
ait pas de distorsion de la concurrence.
Néanmoins, les libéraux exigent que l'Etat ouvre le capital d'EDF. Certains,
plus prudents que d'autres, disent que l'Etat doit rester majoritaire. Mais,
on sait qu'il s'agit là d'un engrenage qui aboutit à un terme plus ou moins
proche à une totale privatisation.
Les libéraux viennent de trouver un renfort avec François Roussely, Président
d'EDF. Dans une récente tribune publiée par Le Monde, il a ainsi plaidé pour
l'ouverture du capitale de l'entreprise encore publique dont il a la charge.
Son argumentation est simple EDF a besoin d'argent pour son développement à
l'étranger, comme pour préparer l'avenir en France. La mise en vente d'une partie
de son capital pourrait lui procurer les fonds nécessaire.
Mais, cette solution suppose que le peuple français accepte de se priver au
moins en partie de la maîtrise de l'un des derniers outils industriels performants
qu'il a encore en sa possession. En plus, il se résignerait à ne tirer aucun
bénéfice pécuniaire et budgétaire de cette entreprise, qu'il a progressivement
développée en plus d'un demi-siècle. Le produit de cette vente reviendrait à
cette société en voie de privatisation. Quand aux promesses de retombées, elles
sont plus qu'hypothétiques. Sans insister sur les malheurs abyssaux de France
Telecom, il suffit de citer les actuels déboires d'EDF au Brésil et en Argentine
pour montrer combien sont aléatoires ces aventures internationales. Les investissements
en France sont certes nécessaires, mais ils seront en tout état de cause financés
le moment venu par les consommateurs d'alors.
EDF doit rester un outil industriel à la disposition
de l'Etat. Il faut même élargir son assise en créant Energie de France par la
fusion entre EDF et GDF. Et puis, il faut que l'Europe revienne aux réalités
de la science physique. Le retour à des monopoles performants devra être renégocié
dans les meilleurs délais.