La
lettre électronique de Georges SARRE
" Des questions pour la France "
6 mars 2003
La
visite du Président de la République en Algérie est très révélatrice des questions
qui se posent aujourd'hui à notre pays. Les centaines de milliers d'Algériens
qui acclamaient Jacques Chirac, exprimaient à la fois sans ambiguïté leur soutien
à la position française contre la guerre en Irak et leur désir de France. L'insistante
demande de visas en est le meilleur symbole. Par cette visite, il se démontre
aussi que la France, lorsqu'elle refuse la résignation et l'abaissement, lorsqu'elle
se conduit comme une grande puissance indépendante, possède un rayonnement qui
reçoit l'adhésion des peuples.
Telle est aussi la leçon à tirer de l'attitude française dans la crise irakienne.
Par son refus de suivre les Etats-Unis dans leur aventure militaire en Irak,
la France, qui n'est pas isolée parmi les Etats européens, puisque l'Allemagne,
la Belgique et la Russie ont une démarche comparable, a le soutien de la grande
majorité des Français et des opinions publiques étrangères, y compris dans les
pays qui se sont alignés sans réserves sur l'Amérique. Certes, la droite allemande
s'est prononcée pour un alignement atlantiste, comme les gouvernements de Grande
Bretagne, d'Espagne, d'Italie ou d'ailleurs. Mais dans ces pays, l'ampleur des
manifestations contre la guerre prouve la déconnection entre les gouvernements
et les peuples. Les pays de l'est qui vont adhérer à l'Union européenne ou qui
aspirent à y entrer, ont mécaniquement apporté leur soutien à George Bush. On
aurait pu espérer d'eux qu'ils fassent le choix d'une Europe européenne. Cette
déception doit conduire la France à prendre plus que jamais pied à l'est pour
faire entendre sa voix.
Pendant ce temps, la convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par Valéry
Giscard d'Estaing, prétend organiser les structures d'une diplomatie commune.
Or si l'Union européenne était aujourd'hui dotée d'une constitution ou d'un
traité constitutionnel, la France ne pourrait pas, comme elle le fait avec courage,
faire valoir sa retenue et privilégier une solution diplomatique à la crise
irakienne. Nous serions entraînés dans le sillage de ceux qui, derrière les
Etats-Unis, veulent nous entraîner dans une " croisade " contre " l'axe du Mal
" qui repose sur une vision messianiste de la toute-puissance américaine et
sur l'idée totalement irréaliste qu'il suffit d'établir un proconsulat à Bagdad
pour mettre fin ipso facto à tous les conflits du Moyen-Orient. Nos intérêts
nationaux légitimes seraient oubliés et même bafoués. La paix, elle serait foulée
aux pieds. D'ailleurs, il ne serait même pas sûr, dans ces conditions, que la
France pourrait conserver son siège de membre permanent du Conseil de sécurité
et donc son droit de veto. Ce serait la fin d'une ère pour notre pays : celle
de sa présence au rang des grandes puissances, conquise de haute lutte en 1945
par le général de Gaulle contre- déjà- la volonté américaine d'en faire une
nation de second rang.
Cette crise diplomatique européenne montre bien que la France doit maintenir
son choix d'une politique étrangère indépendante dont la cadre ne peut se limiter
à l'Europe, puisque notre géographie et notre histoire nous lient intimement
aux pays du sud. Le déplacement de Jacques Chirac en Algérie vient nous le montrer
en contrepoint. Si la France a toujours eu une incontestable dimension continentale,
elle a aussi une vocation méditerranéenne et plus largement mondiale. C'est
pourquoi il faut savoir répondre aux attentes des peuples qui s'adressent à
la France.
Nous avons d'abord à renforcer les échanges culturels et à développer la publication
en langue française, afin de favoriser les idées de progrès et de faire barrage
aux intégrismes.Nous devons surtout faire comprendre que le co-développement
est le meilleur moyen de réduire les inégalités qui se creusent aujourd'hui
entre le continent africain, en particulier, et l'Occident. Il faut donner aux
pays dont les ressortissants souhaitent émigrer vers la France les moyens de
les garder sur leur sol natal pour en exploiter au mieux des richesses qui sont
souvent considérables. Seuls alors des projets, de multiples microprojets, mais
aussi de grands projets, peuvent ouvrir les perspectives nécessaires. Cette
indispensable floraison ne peut être laissée au seul hasard, aux seules bonnes
volontés. Des politiques communes doivent être mises en oeuvre pour que jouent
les évidentes complémentarités dans le sens du développement.
Etre présent à l'Est comme au Sud est possible, à condition de ne pas se lier
par des textes qui conduisent à l'impuissance. Or, on voit bien en ce moment
que les autres pays européens ont des intérêts nationaux qui sont loin d'être
identiques aux nôtres. La Grande Bretagne, mais aussi l'Espagne et le Portugal,
ont bâti leur puissance passée et leurs empires coloniaux sur le lien trans-atlantique.
L'Allemagne, replacée par la chute du bloc soviétique au milieu de l'Europe
élargie, retrouve naturellement ses intérêts dans la Mittel Europa. La France
doit donc garder sa liberté de mouvement pour répondre aux sollicitations qui
lui parviennent de toute part.
Puisque tous les Français on presque, en dehors d'Alain Madelin, de Pierre Lellouche
et de Bernard Kouchner, soutiennent les positions du Président de la République
sur l'Irak, le moment est venu pour la France de s'interroger sur les perspectives
de sa place dans le monde. Puisque ce gouvernement aime les débats, il en est
d 'autres à tenir que les trois en cours, sur la décentralisation, les retraites
et l'énergie. En premier lieu, un grand débat national sur l'attitude à avoir
dans l'affaire irakienne. Et ensuite, un autre, de nature existentielle, sur
l'avenir même de notre nation. Il serait d'autant plus opportun que s'en annonce
celui sur la nature et l'organisation de l'Europe. Avant de conclure ce dernier,
il faudrait encore savoir ce que veut notre collectivité nationale.