La lettre électronique de Georges SARRE

Un anniversaire oublié
11 mars 2003

Le 31 décembre dernier, la commission de Bruxelles aurait du nous inviter à célébrer le dixième anniversaire de la mise en place du marché intérieur. Pourtant, il n'y eut aucune commémoration et même aucun rappel. Depuis, le silence s'est maintenu. Personne ne s'aventure à dresser un bilan complet des conséquences de cette mesure. Personne n'ose comparer les réalités d'aujourd'hui avec les promesses d'hier.

Il y a une décennie, le marché intérieur, le marché unique nous était présenté comme le grand projet qui devait emmener l'Europe vers une prospérité toujours croissante et les européens vers le plein emploi. Ce dessein devait se compléter par l'instauration d'une monnaie unique. Celle-ci à son tour a été mise en oeuvre. Nous devrions donc commencer à pouvoir récolter les fruits de cette intégration économique toujours plus poussée.

Le marché unique a d'abord été un prétexte commode pour que la commission de Bruxelles étende ses pouvoirs en dépouillant les Etats de leurs prérogatives économiques au nom de l'égalité de traitement, qui conduit au cumul paradoxale des inconvénients de la concurrence et des contraintes de la bureaucratie. Ainsi, des modes traditionnels de fabrication de certains produits, comme les fromages, se sont trouvés menacés. Ainsi, le taux de TVA perçu sur les limonadiers est devenu de compétence communautaire, comme s'il y avait compétition sur les prix entre le pub de Londres, le bistrot de Paris et la brasserie de Berlin.

Le marché unique a aussi été un moyen puissant pour imposer partout l'idéologie libérale. Par ce biais, un à un, les services publics sont démantelés. Il n'est nul besoin de revenir sur les dégâts subis par le secteur des télécommunications, et pas seulement en France, mais dans toute l'Europe ou presque. Il n'est nul besoin d'insister sur les menaces qui pèsent sur le domaine de l'énergie, elles commencent un peu partout à se manifester. Désormais, c'est le ferroviaire à son tour qui est visé. Rien ne semble arrêter cette vague de déconstruction. L'éducation, la santé, la culture semblent devoir être emportées bientôt. Il n'est pas jusqu'aux fonction régaliennes qui pourraient un jour ce trouver impliquées, quand on entend les discours de certains idéologues

Néanmoins, si le succès était au bout de l'idéologie, nous serions bien obligés de nous incliner devant les réalités, qu'il aurait engendrées. Malheureusement, nous sommes contraints de déplorer une situation économique déjà mauvaise, et qui de plus tend à se dégrader. Bien sûr, on peut invoquer la grave crise internationale que nous traversons. Elle pèse incontestablement sur la conjoncture. Mais, elle s'inscrit dans une tendance de fond, dont elle ne fait qu'accentuer les aspects les plus négatifs. Cette tendance se traduit par une faible croissance, 0,2 % sur le premier trimestre 2003 pour les douze pays de la zone euro. Il en résulte un fort taux de chômage, 8,6 %, soit douze millions de personnes.

Face à cette situation, il faudrait être en mesure de relancer l'économie. Mais, avec le pacte de stabilité budgétaire, les technocrates libéraux ont imposé des dogmes. La commission de Bruxelles les applique sans intelligence, ni discernement. Peu importent les dégâts, pourvu que l'orthodoxie soit respectée. En 2002, le déficit budgétaire français a atteint 3,4 % du produit intérieur brut. Aujourd'hui, la France est menacée de sanctions dont, notamment, des amendes qui ne peuvent qu'aggraver les choses. En revanche, ne sont pris en considération ni les sujétions de la conjoncture, ni le type de dépenses. Les éventuels gaspillages sont mis sur le même plan que les investissements prometteurs pour l'avenir. Le court et le long terme sont confondus dans un même magma. Dans la crise actuelle, le coût de la défense nationale reste une simple ligne, banalisée parmi toutes les autres.

Les européistes diront que cette situation n'est pas due à la construction européenne, mais à la mondialisation et à la globalisation. Précisément, la construction européenne telle que la conçoivent les libéraux, loin d'être un rempart contre les méfaits de la mondialisation, en est un simple instrument, un outil servile. Nous sommes loin de la construction européenne telle qu'elle avait été initialement conçue. La politique agricole commune reste encore le témoin de cette conception première. L'Europe ne devrait pas être un marché ouvert à tous les vents, surtout aux vents mauvais. L'Europe devrait mettre en œuvre des politiques communes, recouvrant divers domaines, avec des objectifs et des stratégies communes. L'Europe devrait avancer par des projets élaborés en commun par les différentes nations qui la composent. Tous les pays n'avanceraient peut être pas au même rythme, mais chacun verrait respecter ses intérêts, son génie, et surtout les aspirations légitimes de ses habitants.

Dix ans après l'ouverture de marché unique, nous sommes à l'opposé de cette situation avec les conséquences que l'on connaît. Alors, on passe sous silence l'anniversaire de peur que les européens se souviennent soudain des promesses qui leur ont été faites. Au contraire, on n'hésite pas à déclarer que si la conjoncture est difficile, en dehors des menaces de guerre, c'est parce que le marché ne serait pas assez ouvert. Il faudrait s'enfoncer encore plus dans le libéralisme. Du simple dogme, nous passons ainsi à la foi aveugle.

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