La lettre électronique de Georges SARRE

"Jean-Pierre Raffarin dans les pas de Lionel Jospin"
08 avril 2003

Jean-Pierre Raffarin n'est pas seulement le successeur de Lionel Jospin. Il en est aussi l'héritier. Il reprend à son compte le funeste processus de Matignon. Il en précipite le calendrier. Il en aggrave le contenu. Il en multiplie les effets négatifs en l'étendant à toutes les autres régions. A force de compromissions successives, il croit obtenir " la paix ". En fait, il cède aux poseurs de bombes et ouvre ainsi des perspectives de violence.

Certes, la Corse est une île entourée par la mer. Néanmoins, elle n'est pas située outre-mer. Pourtant, le projet de Jean-Pierre Raffarin et de Nicolas Sarkozy aura pour résultat de lui donner un statut de territoire d'outre-mer, sous forme de " collectivité unique déconcentrée ".

En un peu plus de vingt ans, ce statut, s'il était adopté, serait le quatrième qui régirait la Corse. A chaque fois, la République perd un peu de sa substance, sans que cessent pour autant les explosions nocturnes. Au contraire, elles ne tardent pas à reprendre pour profiter de la faiblesse répétitive et obtenir ainsi de nouvelles concessions. Déjà, les séparatistes critiquent en apparence le projet actuel parce qu'il crée une structure en trompe l'oeil qui rappelle les deux départements. Soyons sûrs que si le gouvernement cédait sur ce point, ils engrangeraient leur victoire et ne tarderaient pas à contester une autre disposition. De compromis en compromis, ils n'ont qu'un seul but : l'indépendance de l'île.

Leur bouderie médiatisée a aussi un autre objectif. Dans leur immense majorité, les habitants de la Corse sont opposés à l'ouverture que leur proposent les ethnicistes. Ceux-ci apparaissent même comme des repoussoirs s'ils prenaient donc parti pour le projet gouvernemental, l'effet serait contre productif. La réponse apportée à la question posée lors du référendum du 6 juillet prochain ne serait plus d'ordre institutionnel. Elle se transformerait en plébiscite pour ou contre Jean-Guy Talamoni et consorts. Le rejet serait donc massif. Il est donc de l'intérêt à la fois du gouvernement et des ethnicistes que ces derniers prônent l'abstention. Ainsi, le Premier Ministre peut oser parler de " parti populaire et républicain ".

On nous dit que, cette fois-ci, tout sera différent, le statut sera définitif, parce que les Corses seront consultés. Nicolas Sarkozy a déclaré : " C'est aux Corses, enfin, que va être donnée la parole, pour peser sur un débat qui les concerne au premier chef, mais qui a toujours été décidé sans eux ". Une telle proclamation laisse entendre que les Corses n'appartiendraient pas pleinement au peuple français. C'est la première volute d'une spirale dont l'aboutissement serait de considérer les Corses entièrement à part, comme constituant un " peuple Corse ". Jusqu'à présent, les habitants de l'île s'expriment lors de tous les scrutins électoraux, notamment nationaux. A ce titre, ils participent, comme tous les citoyens français, à toutes les décisions concernant la France dans sa totalité comme dans l'une de ses parties. Cette participation peut être, bien évidemment, directe ou indirecte.

Il est vrai que Jean-Pierre Raffarin parle de son côté de " citoyens Corses ", comme pour confirmer cette dérive. Il n'existe pas de citoyens corses, parce qu'il n'existe pas de citoyenneté corse. Seuls les ethniciens veulent aujourd'hui en créer et on sait trop sur quelles bases inquiétantes. Il existe seulement des citoyens français habitant en Corse ou encore des citoyens français d'origine Corse. Les premiers ne modifient en rien leur qualité s'ils déménagent. La revendication éventuelle de l'origine des seconds appartient à la sphère de la vie privée. L'expression utilisée par le Premier Ministre montre bien un glissement qui pourrait s'avérer très dangereux.

On nous dit encore que, cette fois-ci, tout sera différent grâce à la réforme constitutionnelle portant sur la décentralisation. La Corse ne sera pas une exception. Sa spécificité sera seulement reconnue au même titre que celle de chacune des régions de métropole ou d'outre-mer, curieuse thérapie prescrite par nos Diafoirus gouvernementaux. Ils souhaitent guérir une région par une mauvaise médication en l'étendant à d'autres. Le mal ne disparaît pas dans la dilution. Il est au contraire répandu.

La Corse est une île montagneuse. Voilà les seules spécificités que la République doit prendre en compte, sans mettre en cause ses propres principes. Elles sont géographiques. Il faut donc assurer une véritable continuité territoriale pour surmonter les handicaps de l'insularité. Il faut aussi une présence plus dense de l'administration et des services publics pour compenser la difficulté des liaisons internes. Voilà pourquoi, par exemple, se justifie l'existence de deux départements. D'une façon générale, il faut prendre les mesures nécessaires pour que soit assurée l'égalité entre tous les citoyens français, qu'ils habitent dans l'île ou à n'importe quel autre endroit du territoire de la République.

Du fait de ces contraintes géographiques, la Corse n'a jamais vraiment connu la présence de l'Etat et de ses bienfaits au cours de sa longue et tragique histoire. Depuis qu'elle est française, elle a donné au pays des fonctionnaires et des hommes d'Etat, et non des moindres. D'épopées impériales en aventures coloniales, elle a participé à toutes les gloires et à toutes les vicissitudes de la nation, en lui donnant souvent les meilleurs de ses enfants. Mais, son territoire n'a pas toujours bénéficié des retombées de cette émigration de qualité autant qu'il aurait été souhaitable. C'est seulement depuis quarante ans que se pose le problème de son aménagement. Or, précisément, à peu près à la même époque, la France a commencé à douter ouvertement d'elle-même. La République a commencé à se laisser subvertir par des minorités, qui allaient s'ériger en communautés.

Pour la Corse, aujourd'hui, loin d'être utile, un quatrième statut sera nuisible. Le principe même d'un référendum particulier va apparaître comme une porte entrouverte vers un sombre inconnu. La Corse a besoin de l'Etat, un Etat républicain, qui fasse respecter la loi sans faiblesse et qui mette en oeuvre un projet mobilisateur. C'est l'espoir des français d'origine Corse.

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