La
lettre électronique de Georges SARRE
" Lafayette nous voilà ! "
11 février 2003
L'actuelle
crise internationale sert de prétexte à la presse américaine pour se déchaîner
contre la France et les Français. Laissons de côté les insultes et les propos
excessifs qui frisent le ridicule, quand ce n'est pas une forme sournoise de
racisme. Ne retenons que les accusations d'ingratitude dont nous sommes accablés.
Nous aurions tout simplement oublié le rôle des Etats-Unis dans les deux guerres
mondiales et le sacrifice des soldats américains sur la terre et sur les plages
de France.
Quand on convoque l'Histoire pour justifier une position présente, il faut la
convoquer toute entière. On ne peut sans falsification opérer un tri pour ne
retenir que les épisodes qui semblent plaider en faveur de la thèse soutenue
sur le moment. Les rapports entre la France et les Etats-Unis ont désormais
plus de deux siècles. Ils ont commencé avant que les Etats-Unis existent. Longtemps,
les Américains l'ont su. Il ne faudrait pas qu'un trop plein de puissance leur
fasse perdre leur mémoire historique.
Au printemps 1917, quand les soldats américains foulaient le sol de France,
au Havre, à Saint Nazaire, à la Rochelle ou ailleurs, ils s'écriaient : " La
Fayette, nous voilà ". En 1917, les Etats-Unis savaient qu'ils devraient leur
existence à l'aide décisive de la France lors de leur guerre d'indépendance.
Cette aide ne s'est pas limitée aux aventures personnelles de La Fayette et
de ses compagnons. Cette aide fut aussi, fut surtout celle de la France officielle
avec le corps expéditionnaire de Rochambeau et les escouades de l'amiral de
Grasse.
Bien sûr, il est toujours hasardeux de vouloir refaire l'histoire. Il est donc
hasardeux de vouloir imaginer l'histoire de l'Amérique du Nord, si la France
n'était pas intervenue à cette époque. Les Etats-Unis auraient peut-être quand
même fini par émerger. Mais, leur territoire aurait été ravagé par une guerre
prolongée.
Laissons de côté notre imagination sur une histoire qui n'a pas eu lieu. Ne
retenons que les faits réels. Les conditions de la naissance des Etats-Unis
font que les rapports entre la France et ce pays sont d'une nature particulière.
Ils n'ont rien à voir avec les liens qui unissent la Grande Bretagne et les
Etats-Unis à travers la langue, la culture et le renversement des rôles. Enfin,
on ne peut oublier une certaine communauté idéologique entre la Révolution américaine
et la Révolution française. Bref, entre nos deux pays, il n'y eut jamais, il
ne peut y avoir de relation de subordination.
Même lorsqu'ils évoquent les deux guerres mondiales, les éditorialistes américains
ont une tendance certaine à occulter quelques faits qui pourraient gêner leur
démonstration. Ainsi, le sénat des Etats-Unis n'a jamais ratifié le traité de
Versailles, au point que ce pays ne participa pas à la SDN. Cet isolationnisme
déséquilibra le monde issu de la première guerre mondiale. De même pour que
les Etats-Unis s'engagent dans la seconde guerre mondiale, quoiqu'en ait voulu
le Président Roosevelt, il a fallu que le Japon l'implique de fait et de force
le 7 décembre 1941 à Pearl Harbor.
Ces rappels n'enlèvent rien au sacrifice des soldats américains. Ils relativisent
simplement le rôle d'archange éternel du bien, que certains citoyens des Etats-Unis
voudraient accorder à leur pays. En fait, quels que soient les discours de ses
dirigeants sur l' " Empire du mal ", celui-ci est une puissance comme les autres,
et qui, comme les autres, défend ses intérêts de puissance. La seule différence,
c'est qu'elle est devenue aujourd'hui l'unique hyper puissance. A ce titre,
elle est tentée d'abuser de sa force et refuse d'écouter la moindre critique.
Pourtant, en son temps, les Etats-Unis auraient été mieux avisés d'écouter les
mises en garde de la France, notamment celles exprimées par la voix du général
de Gaulle. Le discours de Pnom Penh était un avertissement amical, celui d'un
véritable allié, fidèle et loyal, mais pas vassalisé. S'il avait été entendu,
le peuple américain aurait évité les souffrances, le traumatisme et l'humiliation,
subis en Indochine au cours de la décennie qui a suivi.
Aujourd'hui, la France se comporte en partenaire résolu dans la lutte contre
le terrorisme. Nous l'avons démontré tant par notre aide en Afghanistan que
par les coups que nous avons portés aux réseaux présents sur notre sol, mais
personne n'a pu prouver un lien véritable entre l'Irak et le terrorisme. Tout
le monde, en dehors des personnes convaincues d'avance, s'accorde pour dire
que la prestation de Colin Powell devant le Conseil de sécurité a été indigente.
En revanche, comme l'a déjà montré la guerre du Golfe, une nouvelle offensive
contre l'Irak ne peut que renforcer le terrorisme. La France doit donc tenir
sur sa position actuelle. C'est ainsi qu'elle se montrera le meilleur allié
des Etats-Unis dans la durée.