La lettre électronique de Georges SARRE

" Giat et Bagdad " (Défense)
15 avril 2003

Mais où sont passés les dividendes de la paix ?

Après la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, des esprits qui se voulaient éclairés, et parmi eux des responsables politiques de premier plan, proclamaient à qui souhaitait les entendre que le monde allait désormais toucher les dividendes de la paix. On allait construire des écoles et des hôpitaux au lieu de bombes et de canons. La guerre froide était finie. Plus aucune menace sérieuse ne pesait sur la sérénité de la planète. L'humanité allait pouvoir progresser selon les seuls lois de l'économie, c'est-à-dire s'en remettre à la main invisible du marché.

Pourtant, bien vite, une première alerte aurait du montrer à ces beaux esprits que leur perspective n'était qu'un rêve éveillé. Dès l'été 1990, la crise, puis la guerre du Golfe, annonçaient un nouveau type d'instabilité. Bien sûr, on pouvait n'y voir qu'un conflit régional limité, soubresaut ultime d'un univers condamné à dépérir. C'était s'inscrire dans la conception du " nouvel ordre mondial ", proclamé par Georges Bush, le père. Dans son sillage, vient même pour le conforter le succès de la thèse sur la fin de l'histoire. Mais derrière tous ces discours lénifiants, pointait la volonté de domination de l'hyper-puissance américaine.

Loin d'être apaisé, le monde est plus que jamais dangereux et incertain. La stratégie de la dissuasion par la terreur nucléaire empêchait l'affrontement direct, qui se serait traduit par un anéantissement réciproque. Les conflits ouverts ne pouvaient être que périphériques, ne pouvant dépasser certaines limites. Dans ce cadre, l'Europe ne serait pas un champ de bataille, à moins d'être le prélude à une déflagration généralisée. En revanche, chaque peuple était assigné à un camp et toute tentative pour en changer était écrasée sans ménagement.

Aujourd'hui, il n'y a plus de sanctuaire. L'Europe peut devenir un champ de bataille. La Yougoslavie l'a amplement prouvé. La guerre de Tchétchénie n'épargne pas le territoire de la Russie. Les Etats-Unis peuvent être atteints en leur coeur par des attentats meurtriers.

La défense nationale est donc le premier moyen dont doit se doter un Etat pour protéger ses citoyens. Seule, elle permet un tant soit peu de se faire respecter de l'hyper puissance. Elle est nécessaire pour peser dans les négociations internationales et pour contenir tout agresseur éventuel. Il n'existe donc aucun dividende de la paix. Au contraire, toute recherche d'un quelconque dividende de la paix se payera le moment venu, au prix fort, au prix d'une soumission accrue, au prix d'une violence subie.

Pourtant, depuis plus d'une décennie, la France a, sinon désarmé, du moins diminué son effort de défense dans des proportions considérables. Moins, il est vrai que bien des pays comparables, mais bien plus cependant que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

La France a arrêté ses essais nucléaires souterrains et signé le traité d'interdiction, contrairement aux Etats-Unis. Elle a démantelé son centre d'expérimentation, situé dans le Pacifique. Elle compte sur des puissants ordinateurs, qui ne sont pas encore prêts et dont la technologie est américaine. Elle s'est aussi de la sorte handicapée pour mettre au point des armes nucléaires tactiques de précision. Enfin, elle s'est privée des moyens de vérifier en grandeur nature du maintien du caractère opérationnel de son équipement.

La France a supprimé le service militaire. Il n'est nul besoin de revenir ici sur les inconvénients de cette mesure pour l'ensemble de la société française. En revanche, il faut savoir que pour une même capacité de défense, une armée professionnelle revient beaucoup plus chère. Or, le budget des armées n'a pas été augmenté en conséquence, il a même continué de diminuer.

La triste aventure du char Leclerc est un autre exemple de ces aberrations. Avant 1989, il avait été prévu d'en construire pour la France mille quatre cents. Giat Industries avait été calibrée pour répondre à cette demande.

Aujourd'hui, au nom implicitement des dividendes de la paix, la commande de la France se trouve limitée autour de quatre cents cinquante unités.

Le plan de charge de l'entreprise publique en est totalement déséquilibré. A cette baisse draconienne, viennent s'ajouter les conditions insensées du contrat passé avec les Emirats Arabes Unis. Voilà comment on provoque un gouffre financier.

Mais, la finalité première de l'industrie publique d'armement n'est pas de gagner de l'argent. Elle est d'assurer l'indépendance nationale. La bonne question est de savoir de combien de chars Leclerc la France a besoin aujourd'hui. La deuxième guerre du Golfe vient de montrer avec éclat la nécessité d'un outil militaire de ce type. Or, d'après nombre d'experts, le Leclerc serait même supérieur à l'Abrams américain.

Au lieu de réduire encore la voilure du Giat Industries, au risque de créer du chômage supplémentaire et de désertifier un peu plus des régions entières, le gouvernement serait mieux inspiré de s'interroger sur les besoins réels de nos armées. Bien sûr, dans un premier temps, l'augmentation des crédits militaires sera plus élevée que le coût comptable des fermetures et autres retraites anticipées. Mais, à terme, les français s'y retrouveront. Il est vrai que se pose alors le respect des critères du pacte de stabilité budgétaire, il faut savoir ce que l'on veut !

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